Chapitre 2
- ki7ycat
- 20 août 2019
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 sept. 2019
Mon pied glisse. Une parcelle de glace plus tenace. Le sol se rapproche dangereusement. Les mains en avant, dans un réflexe tenace de survie, mon visage se précipite vers cette couche glaciale, la gravité semblant très heureuse de réduire mon champ de vision à une blancheur totale. Mon acrobatie se termine en une roulade, sans doute une des plus réussies de toutes celles que j'ai pu effectuer dans ma vie. Sans réfléchir une seule seconde à mon exploit, je me relève instantanément, prenant appui sur mon bras, le mauvais bras. Une seconde, la clarté blanche de ma vision ne se limite plus à la banquise qui m'entoure, mais à une lancée aiguë de douleur, prenant forme au bout de mes doigts et me traversant tout entier. Je me mords la lèvre si fort de douleur qu'une seconde après, je sens le goût du sang se répandre dans ma bouche. Mais je n'ai pas le temps d'avoir mal. Ni même de blâmer une plaque givrée.
Je suis déjà reparti dans une course mortelle, ramassant de justesse cet sphère aplatie me servant d'unique compagnon. Mais les précieuses secondes que j'ai perdues ne reviendront plus, et elles peuvent m'être fatales. Je ne m'empêche pas de jeter un coup d’œil derrière moi. Mes poursuivantes sont dangereusement proches de moi à présent. Je sens presque leur haleine fétide de monstres chatouiller mon cou, les immondices qui leurs servent de griffes me frôler… Les craquements de la glace se font de plus en plus proches. Je m'imagine déjà une fissure sous mes pieds, une mort de noyé, et ses horribles créatures se repaître de mon cadavre. Leurs cris inhumains résonnants au plus profond de mes entrailles, une de ses mains se referme sur ma cheville. Et alors que les griffes rentrent dans ma peau, je sens une force, d'une puissance immense, me soulever de terre.
Tout se passe très vite. La sirène, encore trop faiblement accrochée à moi, me lâche et tombe dans un gémissement mêlé d'une douleur et d'une rage que je me réjouis de quitter. Une fois que ce monstre m'a hors de sa portée, je me soucie soudain de ma situation. Je vole, littéralement. Mais pas tout seul. Et c'est justement ce « pas tout seul » qui m'inquiète. Mes épaules sont écrasées sous la poigne d'immenses serres. Un oiseau, gigantesque, d'une envergure si imposante qu'elle en devient absurde, plane, me tenant entre ses pattes. J'essaye tant bien que mal de me résonner. Me débattre ne servirait à rien, si ce n'est de mourir fracassé sur ce sol me paraissant déjà si petit, si lointain. Je ferme les yeux. Tente de respirer pour apaiser cette fureur qui m'inonde. Mon destin, est entre les pattes d'un volatile qui m'a sans aucun doute choisi comme casse-croûte. Je refuse que ça se termine comme ça. Que je termine comme ça.
On amorce un grand virage, pour rejoindre une colline immaculée, comme tout dans ce monde. Les serres me lâchent un mètre avant la neige. Je cours, encore une fois, refusant d'abandonner, alors même que le bec de l'animal n'a qu'à me ramasser pour en finir. Pourtant, les pas se suivent et rien ne se passe. Troublé, je me retourne. Il n'y a plus rien derrière moi. Rien. Je m'arrête. Mon cœur bat frénétiquement dans le vide, ma respiration saccadée peine à se calmer. Rien… Mais… Je n'ai pas pu l'imaginer. Il y a une demi-minute à peine j'étais sur le point de périr sous la main de ses saletés de sirènes et là, rien… Je me retrouve sur une colline, avec un mirage.
Je reprends mes esprits tant bien que mal. Je mets un pied devant l'autre, dans une maladroite tentative de marche. Mais autre chose me stoppe. Une forme sombre dans la neige, comme une ombre…
Non, il n'y a rien autour de moi. Quelques pas plus loin, il paraît alors évident que ce n'est que l'entrée d'une grotte. Je souffle un bon coup. Devenir parano ne me servira absolument à rien. Mon bras s'exprime alors à nouveau, la douleur oubliée remontant à la surface. Cette grotte me semble soudain un bon endroit de repli, ne serais-ce qu'un instant. Je m'y dirige, y pénètre et m'effondre dans le fond, sur un sol de pierre, épargné par les tempêtes de neige. Je reste quand même à proximité de celle-ci, pour y plonger mon bras. Le froid paralyse mon membre ainsi que le mal qui le transperce. La sphère posée près de moi, je m'accorde enfin un instant de repos.
Chaque seconde prend dans mon esprit des proportions démentielles. Un rayon de soleil tombe à l'entrée de la grotte, la faisant scintiller d'une manière aveuglante. Un peu plus loin, ses restes la font briller avec moins de puissance, lui donnant un aspect de pierre précieuse. J'aurais sans doute pu trouver une certaine beauté là dedans, si seulement ce monde n'était pas mien depuis mon premier souffle. L'habitude a terni ce qu'un étranger aurait trouvé merveilleux. Je n'y fais qu'à peine attention. Mon univers ne compte qu'une seule couleur depuis toujours. Et chaque jour qui passe, j'essaye de le changer. Encore.
Un léger tremblement me secoue. C'est si imperceptible, que n'importe quelle personne censée n'y prêterait pas attention. Mais tout ce qui m'arrive semble altérer cette réalité.
Mais un tremblement, ce tremblement, n'annonce qu'un plus gros cataclysme.
Un énorme craquement retentit. Le calme du plafond de mon refuge s'altère soudainement. Je me lève, aussi vite que mes réflexes me le permettent. Une seule pensée m'assaille : de quelle nature est l'épée de Damoclès qui pend au-dessus de ma tête ?



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